Elle avait pensé à lui souvent,
à ces jours où ils n'allaient pas à l'école
pour découvrir la ville et se repeindre un monde,
un monde qui ne serait rien qu'à eux
un monde où on se rejoint en cachette la nuit
pour se demander si les étoiles dorment le jour.
Elle avait pensé à lui souvent,
à ses cheveux ondulés qui flottait au vent,
à son sourire vague,
et puis à cette lueur au fond de ses yeux.
Elle avait pensé à lui souvent,
à cette fameuse lueur qui s'étouffait,
comme si il fanait de jour en jour,
comme si Gris avait eu raison de lui,
alors elle a eu peur, et elle a fuit.
Elle s'était dit que, si même Subutex avait perdu son éclat,
alors il n'y avait plus aucun espoir,
que ce point noir la tuerait,
qu'il tuerait aussi Mickey,
et même pire,
qu'il tuerait ce quelque chose entre elle et Mickey.
Ville assassine mais ville chérie,
ville qui lui a trop vite manquée,
ville enfin retrouvée.
Kamé s'est mise à le chercher et elle l'a trouvée,
elle avait si souvent pensé à lui et le voilà là dans la nuit,
alors elle a crié,
- SUBUTEX
dans l'espoir qu'il ne l'ai pas oublié,
et elle s'est mise à pleurer.

comme la mer dégueule sur la plage
subutex dégueule dans gris.
il se laisse porter par les courants
plane, vole, loin dans les hauteurs.
il joue au funambule
sur un bord de trottoir.
il réfléchit pas,
il pense à rien,
l'esprit vide qui vagabonde.
subu rêve.

subu s'accroche pas aux pensées qui le traversent.
il profite de son fix,
il reconnaît personne,
pour lui la rue est vide.
mais il y a ce cri,
comme le hurlement
d'un noyé en détresse.
il se retourne.
il croise ces yeux,
sans les reconnaître.
il s'approche un peu,
la fille pleure. il cherche ses yeux,
trempés de larmes.
salut.
on se connaît ?

Subutex est toujours aussi gris,
elle le regarde s'approcher alors que,
alors que le point noir revient devant ses yeux,
elle a envie de hurler encore, se s'arracher les cheveux,
elle le regarde s'approcher et,
elle ne peut pas stopper cette marée d'eau salée.
- Salut. On se connaît?
Son coeur se resserre,
trop vite,
trop fort.
Elle peine à respirer,
elle n'a qu'une envie c'est de crever.
- Fais pas le con Subu.
Elle cherche les phrases,
n'arrive pas à faire des mots.
Elle s'approche encore,
elle se dit que peut-être,
si elle est assez près,
il arrivera à reconnaître ses traits.
- Kamé. Kamélia.
Elle écrase ses larmes d'un revers de main,
elle en a assez de pleurer, assez de ces joues mouillées.

princesse charbon se rapproche.
subu la regarde, d'un peu plus près.
tout le monde connaît son nom, ici.
tout le monde est lassé de le dire.
elle prononce ce prénom.
il aurait aimé que ça fasse tilt directement,
mais il y a dix secondes d'un douloureux silence.
kamé.
t'es revenue.
t'es là.
avec tes valises pleines de couleurs,
tes gestes plein de souvenirs,
ta beauté, ta pureté, ta douceur.
subu tend la main,
subu vérifie qu'elle soit là,
subu teste.

il en revient pas.
qu'elle soit là. sous ses doigts.
qu'elle se souvienne de lui,
alors que tout le monde l'oublie,
alors qu'il oublie le monde.
elle lui a manqué,
sans qu'il le sache.
ses joues ses yeux son nez sa bouche
sa beauté
son côté lunaire.
ses mémoires.
sa voix.
il va pleurer. il pleurerait
si héroïne n'asséchait pas ses yeux.
il lui caresse à peine la joue,
trop peur de la briser.
pourquoi t'es partie loin ?
pendant si longtemps ?

Elle ne bouge pas, elle n'a pas peur,
pas peur de sa main, jamais peur de lui.
Un rire s'échappe de sa bouche,
un rire sincère, comme un soulagement,
les battements de cœur qui reviennent,
le corps qui reprend vie.
Elle revoit le petit garçon,
elle revoit le gamin qui lui prenait la main,
elle aperçoit une légère lueur, vraiment toute petite,
une petite lumière au fond de ses yeux, parmi tout ce gris,
noyée dans le noir de sa pupille dilatée à cause du dernier fix.
Il la reconnaît enfin, après ces trois ans,
après ces longues années de doutes et d'absence,
et enfin il prononce son nom comme ça dans la nuit.
Elle laisse aller ses doigts sur sa joue encore humide,
elle s'avance encore un peu,
son sourire toujours à moitié présent sur son visage,
ce genre de sourire qui ne veut pas partir.
- Parce que la dernière fois, tu t'es pas souvenu.
 J'ai cru qu'Emile était mort, mangé par Gris,
 j'ai cru mourir moi aussi alors j'suis partie...
 Tu sais, je t'appelle Subutex parce que, j'aimais bien,
 j'aimais bien les sonorités, ça donne un peu un côté stellaire,
 un truc que je ne saurais expliquer mais,
 mais en fait je déteste Subutex.
Elle attrape doucement sa main,
elle la serre doucement dans les siennes,
toutes gelées, toutes rougies, comme ses deux joues,
des phares au milieu de la nuit pour gamins perdus,
pour gamins encrassés, englués dans la blanche qui pétille dans les veines.

il voit rarement les choses,
subu, il a aussi la vue blessée.
mais là il voit les rouages des souvenirs.
il voudrait lui dire
qu'émile n'est pas revenu.
que subu est pire encore.
que subu est si proche de la mort.
mais il ne peut pas.
il ne peut pas lui faire ça.
après trois années,
après beaucoup de jours d'absence.
trois ans sans soleil.
même à gris,
c'est long.

finalement il pleure.
parce que c'est kamé.
parce qu'elle veut quand même de lui.
parce qu'il l'a oubliée des dizaines de fois.
mais que même quand il y pensait pas,
il y avait le manque et l'absence.
il veut pas la toucher,
mais il brûle de l'enlacer.
le feu gagne et il la serre,
de ses maigres forces de camé.
il veut se souvenir de tout.
il veut se rappeler,
ces trous dont il se fout,
aujourd'hui, et ce soir il les hait.
pars plus.
steplaît.
je deviens les murs de gris
quand tu disparais.

Jamais elle pensait pouvoir se sentir heureuse face à des larmes,
mais aujourd'hui c'est différent parce que,
Enfin Emile se souvient.
Elle se dit qu'Emile n'est pas mort,
qu'il est devant elle et que c'est lui qui pleure,
que Subu s'efface l'espace d'un instant,
qu'il leur laisse un moment d'intimité.
Et ça lui fait comme l'effet de retrouver un vieux frère,
elle lui lâche doucement la main,
elle vient à son tour effleurer sa joue,
elle efface sur son passage quelques perles glacées,
elle les capture et les écrase au creux de son poing.
Et c'est un rire qui s'échappe lorsqu'il la prend dans ses bras,
un rire joyeux, qui ne cherche qu'à s'élever et à être partagé,
elle le serre tout doucement de peur de le briser,
et pendant qu'elle le serre tout doucement,
elle repense à toutes ces années
et à toutes ces fois où elle s'y était retrouvée.
- Pars plus.
Steplaît.
Je deviens les murs de gris
quand tu disparais.
Son coeur ne se serre pas,
ses yeux ne se mouillent pas,
elle ne fait qu'hocher la tête.
Cette fois-ci elle en est sûre,
plus jamais encore elle ne quittera Gris.
- C'est promis.
Elle recule tout doucement,
elle cherche un peu d'attention dans ses yeux,
pour lui montrer que, elle est là.
- Les murs n'oseront même plus essayer de t'engloutir Emile.

elle rit quand il la serre,
et c'est son coeur qui se serre.
elle lui fait des promesses
qu'il n'est pas sûr qu'elle pourra tenir.
elle n'a rien vu.
elle vit encore
dans un mensonge,
dans l'illusion.
ça se renforce
quand elle l'appelle émile.
il souffre.
il est un monstre avec elle.
mais il ne peut pas risquer
de la perdre de nouveau.
parce qu'émile est mort
à la mer
en même temps que vida.
il ne reste que subu.

il fait un effort surhumain
pour rester concentré
sur ses jolis yeux pleins de joie.
les siens sont vides
et délavés
les couleurs rongées par la mer
et la joie défilée par l'amer.
ses pupilles de drogué
balaient son doux visage.
il tente de garder
dans son cerveau abîmé
les traits de sa bouille,
son regard d'amour fraternel
et sa joie solaire.
étais-tu heureuse
dans ces ailleurs ?
près des ciels bleus ?

c'est tout ce qui lui importe.
il se réjouissait avant,
de tirer un rire
à cet astre lunaire,
si renfermée
si délicate.
il se sentait ouvreur d'huîtres
et chasseur de perles.
elle doit en savoir bien plus
avoir attrapé mille goélands,
senti mille odeurs de filets,
avoir plongé mille fois dans les eaux poisseuses des ports.
mais si elle a été heureuse
peu importe si c'était sans lui.