I NEED A DOCTOR - (vida)

il crève.
de quoi ?
de froid.
de douleur.
de fièvre.
il sait même plus
comment marcher
comment parler
comment penser.
il tremble.
de tous ses membres.
il va crever.
sur la chaussée,
se faire piétiner.
il s'en fout.
il va crever.
comme un camé,
un pauvre taré.
il s'en fout.

tout ce qui compte,
c'est sugar.
brown sugar, white sugar.
peu importe.
les jolis petits cristaux.
leur miel citronné
au creux de la cuillère.
et ses bienfaits.
peut être que
cette fois elle est décidée ?
tant mieux.
il récupère ses achats.
il marche quelque part.
il se sent suivi.
il veut pas
qu'on lui tire son fric.
ou pire.
sa dose.
il prépare l'injection.
il galère,
tremble trop.
relève les yeux.
et dans le brouillard
de son cerveau en manque,
il la reconnaît.
vera.
parce que tu peux pas être
elle, vu qu'elle est morte.
tu veux voir quoi ?
qui est le pire ?
mate bien, fais toi plais'.
je te bats à plates coutures.
tu veux mvoir à la lumière ?
pour mieux te rendre compte ?

(mots mâchés,
mots culbutés,
maux de drogué.).

mains dans les poches capuche sur la tête
l'ombre erre dans les rues qui étaient autrefois siennes
c'est si étrange, gris
tout évolue tout bouge tout change
et pourtant tout reste pareil
les gens et les choses ne sont plus les mêmes
(ou peut-être que c'est toi vida qui n'est plus vraiment la même)
mais la ville reste identique
elle ne voit toujours pas le sale la tristesse et la colère
tout ce qui imprègne les murs
elle ne voit que les couleurs qui se cachent un peu que l'amour qui rayonne que les sourires qui résonnent
elle ne voit que ce qui est beau
et pourtant il y a un creux dans son cœur
c'est si étrange gris
elle a l'impression de ne jamais l'avoir quitté
mais d'être une étrangère
que la ville a toujours la même place dans son cœur
mais que les caravanes colorées l'ont remplacée
de toujours appartenir à cet endroit
mais de s'y sentir prisonnière
prisonnière de ses murs
des souvenirs
de vera

vera

c'est comme ça qu'elle l'appelle
la silhouette qu'elle croise sans vraiment faire attention
tout se glace tout se précipite tout s'arrête dans son esprit
six ans que personne ne l'a appelée comme ça six ans que personne ne les a confondues six ans qu'elle n'est plus là et que vida est partie
ça siffle à ses oreilles elle n'entend rien d'autre que le prénom le prénom qui percute et fait tout trembler en dedans d'elle
elle le regarde l'homme qui a dit ça elle le regarde les yeux hagards le corps tremblant
deuxième choc deuxième explosion

émile ?

elle ne sait comment ses lèvres ont trouvé la force de s'ouvrir d'articuler de dire le mot assez fort
elle ne sait comment elle a pu le dire
alors que tout hurle dans son cœur dans sa tête dans sa mémoire
alors qu'elle commence à voir trouble et à se demander si elle rêve
si elle ne voit et n'entend que des souvenirs-fantômes

elle prononce son nom,
sin vieux nom.
ce soir il s'en souvient.
il ne réagit pas.
il est occupé.
se faire sa dose.
planter l'aiguille.
tout injecter.
crever.
il relève les yeux.
ses yeux vides.
ses yeux tremblants.
ses yeux malheur.
il regarde son visage
son beau visage.
il voudrait le lui arracher.
il voudraut lui faire payer
sa ressemblance.
la voix n'est pas la bonne.
la voix est celle d'une sirène.
mais tant pis.
ça participe
à la programmation
de sa fin.
émile est mort.
c'est subutex.
il la scrute.
c'est peut être une hallu.
c'est sûrement une hallu.
tout en elle
lui donne envie de mourir.
ses yeux.
ses lunettes.
son nez
sa bouche.
son visage.
ses cheveux.
tout.

il ne filtre même pas.
il prie juste.
prie pour partir
en la regardant.
prie pour montrer
ce qu'il est devenu.
vera ne bouge pas.
et lui non plus.
le flash est là,
la vie aussi.
il est enragé.
il est fou.
il a été dupé.
il voulait mourir.
il a tout bien fait.
il est toujours en vie.
c'est vera.
c'est de sa faute.
tout est de sa faute.
qu'est ce qu'il y a ?
hein ?
avec ton air hagard !
tu croyais être la seule ?
à être touchée ?
à l'avoir aimée ?
à en être devenu taré ?
ou bien
t'as jamais vu un camé ?
je sais pas vera.
mais casse toi de là.
tu ressembles trop à vida.
six ans c'est pas assez.
je suis encore vivant
et je l'ai toujours pas oubliée.

c'est comme un poignard glacé dans son cœur qui s'enfonce tout doucement
elle ne comprend pas elle n'y arrive pas
ça veut dire quoi subutex pourquoi subutex qu'est ce qu'il raconte
c'est quoi l'aiguille dans son bras c'est quoi son air ailleurs c'est quoi tout ça
c'est quoi la haine la colère et la douleur dans ses yeux
il lui est arrivé quoi à émile
vida ne comprend pas vida reste juste là
l'incompréhension sur le visage dans la tête et dans le cœur
ce n'est pas le émile qu'elle a laissé
ce n'est pas le émile qui est resté derrière avec tout le reste
ce n'est pas le émile qu'elle a dû fuir pour ne pas mourir
et ça elle ne peut pas l'accepter
la vérité commence à émerger, à se profiler à l'horizon
comme l'ombre de l'immense vague qui fond sur le monde pour tout détruire
la vérité commence à se révéler alors qu'il persiste à l'appeler vera
et vida a peur d'être noyée
elle s'approche malgré son ordre elle le regarde droit dans les yeux droit dans sa douleur en prenant son poignet entre ses doigts en posant une main sur sa joue sans le lâcher du regard jamais pas une seconde
deux éclats d'eau du raz-de-marée débordent un peu, mais elle ne fait pas attention

pourquoi
tu m'appelles
vera ?

les mots hachés à peine prononcés la voix qui tremble la maigre volonté qui flanche

et c'est quoi
l'océan de douleur, rage, p(l)eurs
dans ton regard ?

elle se sent comme l'équilibriste sur son fil la seconde avant de basculer elle se sent comme celui qui regarde le sol pendant sa chute la seconde avant de s'écraser elle se sent comme celui qui vient d'être blessé à mort la seconde avant que la douleur n'afflue
l'ultime seconde avant que l'étoffe fragile du monde ne se déchire

dis moi que c'est une blague une mauvaise blague une blague du pire des mauvais goûts une blague douloureuse méchante et cruelle mais dis moi que c'en est une que je me trompe que tu n'as pas cru ça comment aurais-tu pu croire ça ne pas comprendre je me trompe dis moi que je me trompe souris excuse toi dis moi que c'est une blague s'il te plaît dis le

il ne comprend pas.
elle s'appelle vera.
elle n'est pas vida,
c'est juste
un jeu sadique,
pour se débarrasser
du fantôme de gris.
pour voir jusqu'où peut aller
un pauvre camé.
il a envie de crever,
de reprendre une dose,
d'attendre l'overdose.
sauf qu'il n'a plus d'argent.
elle s'approche ;
il recule.
elle lui caresse la joue ;
il veut mourir.
elle lui ressemble trop.
six années trop longues
mais c'est encore trop tôt.
tu n'es pas vida.
elle est morte il y a six ans.
noyée. suicidée.
elle m'a laissé.
elle m'a tout caché.
et je me suis brisé.
je m'en suis pas remis.

il avance un peu,
se met en pleine lumière.
le réverbère dégueule sur lui
et montre
ses yeux aux pupilles
minuscules
son corps maigre et sec,
son teint blafard,
son visage émacié,
ses cernes violettes,
ses lèvres blessées,
ses traces de piqûres,
ses fringues miteuses.
et même
ses mains abîmées
par les filets à filer.
pourtant, il ne fait plus pitié.
on l'a
trop-vu-trop-plaint.
il a épuisé le stock d'espoir
que les gens ont pour lui.
pour remplacer son absence,
j'ai trouvé une autre amie.
la plus exigeante de toutes.
pour elle, j'ai changé mon nom,
pour lui ressembler.
on l'appelle
héroïne.

le choc qui coupe le souffle l'impression qu'on l'a frappée dans les poumons qu'elle ne respire plus
la douleur qui paralyse qui donne l'impression que tout le poids du monde pèse sur ses épaules
trop de douleur la douleur de la perte qui ne s'efface pas la douleur des souvenirs et le douleur de la vérité de la compréhension cruelle compréhension
leur jeu d'enfants innocentes leur jeu préféré leur jeu si amusant des gens qui les confondaient ne l'est plus désormais
le jeu s'est exercé encore une fois la ressemblance à joué encore une fois les deux moitiés du même tout ont encore une fois été confondues
la seule fois où il ne le fallait pas
mais comment lui ne peut-il pas savoir alors qu'elle l'avait prévenu (trois mots au coin d'un mur elle l'avait prévenu) comment ne peut-il pas savoir alors qu'il savait laquelle des deux souffrait et laquelle des deux aimait la vie comment peut-il être dans l'ignorance émile, son émile, lui qui la connaissait si bien
émile-subutex qu'il dit émile le doux émile qui s'est noyé dans l'héroïne et c'est sa faute à elle
elle voudrait fuir cette réalité là fuir la vérité qui dérange croire encore une fois que tout va bien effacer les marques sur son corps effacer ce visage livide et meurtri effacer
effacer
effacer
tout

mais elle ne peut pas vida elle n'a pas le droit elle ne peut pas le fuir pas émile pas encore
elle ne peut pas lui mentir pas acquiescer pas se glisser dans la peau de vera et lui dire qu'il a raison
elle ne peut pas le laisser dans la misère et la tristesse et la douleur lui encore moins qu'un autre

je ne suis pas vera
il faut me croire émile
je ne sais pas pourquoi tu as cru ça
mais je ne suis pas vera
vera est morte ce jour-là vera a tout laissé vera m'a laissée moi
je suis partie loin des souvenirs je suis partie parce que je ne pouvais plus vivre là où elle avait vécu et là où elle était morte
je suis partie j'ai tout laissé je t'ai laissé c'est la seule chose que je pouvais faire

ses yeux implorent à vida implorent un pardon qu'elle ne mérite peut-être pas
elle ne sait que dire elle à qui les mots viennent toujours pour une fois dans sa vie elle ne les trouve pas elle trébuche écorche abîme chaque mot
elle voudrait dire quelque chose de juste et beau quelque chose qui lui fasse effleurer la culpabilité qu'elle ressent déjà plus fort que tout quelque chose qui efface ses souffrances à émile quelque chose qui répare tout
mais les mots comme ça n'existent pas
ou alors elle ne les connaît pas

» livin' la vida loca
» rêves éternels ★ vida

I NEED A DOCTOR - (vida)

I NEED A DOCTOR - (vida)

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